MÉMOIRE DE L’ASSOCIATION DES PILOTES D’AIR CANADA

Résumé

Votre comité a sollicité des suggestions sur la façon de relancer durablement  l’économie canadienne. Notre mémoire porte en gros sur la création et le maintien d’emplois de qualité.

Nous souhaitons évidemment préserver les bons emplois qu’offre notre profession. À la lumière des faits décrits dans ce mémoire, l’Association des pilotes d’Air Canada (APAC) formule deux recommandations, à savoir que le gouvernement du Canada devrait agir pour :

1.    réformer les règles fédérales régissant les régimes de retraite à prestations déterminées;

2.    remédier aux pratiques abusives sur le marché du travail qui risquent de nuire au développement de compétences précieuses par les membres de notre profession au Canada.

Exigences budgétaires

Ces recommandations pourraient être mises en œuvre sans le moindre coût additionnel pour le gouvernement fédéral.

À propos de l’Association des pilotes d’Air Canada

L’Association des pilotes d’Air Canada est le plus important regroupement de pilotes professionnels au Canada, représentant les pilotes de la principale flotte d’appareils d’Air Canada, qui sont plus de 3 000.

L’Association des pilotes d’Air Canada remercie le Comité permanent des finances de la Chambre des communes de l’avoir invitée à présenter ses suggestions en vue du budget fédéral de 2012. Nous profiterons volontiers de l’occasion pour discuter de nos recommandations avec les membres du comité lors d’une de ses réunions à venir.

Vous avez demandé des suggestions sur la façon d’en arriver à une relance durable de l’économie canadienne. Notre mémoire explique essentiellement comment créer et maintenir des emplois de qualité.

Nous voulons évidemment préserver les emplois de qualité offerts dans notre profession. Les pilotes d’Air Canada ont le genre d’emplois que nous souhaiterions à tous les Canadiens. Nos compétences uniques ont été acquises grâce à des études et à la formation reçue, et à force d’expérience. Nous continuons à entretenir et à améliorer ces compétences tout au long de notre carrière, suivant chaque année une formation complémentaire et subissant des tests qui exigent de nombreuses heures d’effort, et ce en grande partie dans nos temps libres et à nos frais.

En contrepartie de leurs compétences particulières, les pilotes bénéficient de maints avantages. Ils ont ainsi la possibilité de progresser au fil de leur carrière, en manoeuvrant des appareils de plus en plus gros et complexes sur des distances de plus en plus longues, tandis que leur taux de rémunération et leurs avantages sociaux augmentent. Dans notre profession, il est tout à fait possible de gagner un salaire dans les six chiffres et de prendre une retraite confortable avec une pension qui nous assure une bonne sécurité financière, après avoir voyagé à l’étranger systématiquement tout en bâtissant un foyer, en élevant une famille, en contribuant à la vie communautaire et en fournissant  par toutes ces activités des retombées qui profitent à l’économie nationale.

Bref, il est encore possible dans notre profession d’avoir les genres d’emplois de qualité dont tous les Canadiens devraient pouvoir bénéficier. À notre avis, des mesures visant à soutenir de tels emplois aideront  grandement à renforcer l’économie et à améliorer la qualité de vie des citoyens.

Toutefois, nous déplorons l’apparition de certains problèmes préoccupants qui, s’ils ne sont pas corrigés, menaceront le maintien d’emplois de qualité au Canada. Notre mémoire montre que des mesures gouvernementales s’imposent pour contrecarrer ces tendances.

Deux aspects en particulier nous paraissent importants :

1. il est nécessaire de modifier les règles régissant les régimes de pension à prestations déterminées;

2. il est nécessaire  d’empêcher les pratiques abusives sur le marché du travail qui risquent de mettre en péril nos précieuses compétences.

Nous tenons à souligner qu’aucune de nos recommandations n’entraînerait des dépenses additionnelles pour le gouvernement fédéral ni l’ajout d’autres mesures fiscales. Nos suggestions sont simplement des actions logiques marquées par le gros bon sens, qui peuvent et doivent être entreprises dans l’intérêt national.

1. Réforme du régime de retraite

Plus tôt cette année, le gouvernement fédéral était prêt à déposer un projet de loi pour mettre fin au litige entre la société Air Canada et ses employés représentés par le Syndicat des travailleurs canadiens de l’automobile (TCA).

Cette intervention hâtive de l’État dans des négociations collectives libres est inquiétante, mais ce n’est pas là l’objet de notre représentation.

Nous nous soucions plutôt du peu d’attention accordé au problème beaucoup plus vaste qui au départ a provoqué le litige : les déficits de solvabilité du régime de retraite et les mesures correctives nécessaires. À notre avis, il n’y a guère eu de discussions substantielles sur ce sujet d’intérêt public, qui relève des responsabilités fédérales.

Nous avons entendu uniquement les porte-parole d’entreprises affirmant que les régimes de retraite à prestations déterminées reviennent trop cher et nuisent à leur compétitivité.

Au lieu de simplement adopter le point de vue des entreprises, nous croyons que le gouvernement devrait examiner plus attentivement les causes des déficits des caisses de retraite et les nombreuses solutions possibles.

Rappelons que les appels des entreprises pour qu’on abolisse les régimes de retraite à prestations déterminées ou qu’on réduise les montants surviennent dans un contexte économique sans précédent. Les taux d’intérêt à long terme sont à leur plus bas depuis la période juste après la grande dépression. Ceci, combiné à l’effondrement des marchés boursiers en 2008-2009, a fait dégringoler la valeur des avoirs des caisses de retraite, d’où d’importants déficits et la nécessité d’accroître les cotisations selon les règles de financement actuelles.

Nul doute que cette situation a été exacerbée par la panoplie d’évènements extrêmes ayant frappé l’industrie de l’aviation au Canada durant la dernière décennie, notamment la pire attaque terroriste de l’histoire, la plus grave pandémie au pays depuis celle de la poliomyélite et la pire dégringolade boursière depuis la grande dépression. La chute consécutive des revenus des entreprises a  été particulièrement prononcée dans le secteur de l’aviation.

Nous tenons à souligner que ces divers facteurs n’ont rien à voir avec le paiement de prestations de retraite prétendument « inabordables ».

Rappelez-vous également ces mêmes entreprises qui prétendent maintenant que les régimes de retraite sont « inabordables » s’empressaient de ne plus verser leur quote-part quand la prospérité économique faisait gonfler les avoirs des caisses de retraite jusqu’à un niveau excédentaire. Pour ce qui est de la société Air Canada, ses actionnaires détenant le contrôle ont aussi décidé sciemment de la  dépouiller d’avoirs équivalant à environ 4 milliards de dollars lors de sa restructuration en 2003-2004.

Ces aléas de l’histoire sont sans doute bien connus dans les cercles gouvernementaux, puisqu’ils résultent d’une intervention à deux reprises du gouvernement fédéral dans la gestion du régime de  retraite d’Air Canada, la dernière fois en 2009, en approuvant un protocole de financement spécial qui permettait à la compagnie d’appliquer un calendrier pour le versement de ses contributions. Cela a donné un répit à cette compagnie en difficulté pour qu’elle puisse remettre en ordre son édifice financier. Mais comme nous le constatons à présent, le problème à la source n’a pas pour autant été corrigé.

Les règles s’appliquant aux régimes de retraite imposées par le gouvernement exercent actuellement une pression maximale sur leurs répondants, alors qu’ils sont moins aptes à répondre aux besoins accrus d’argent liquide. La réglementation actuelle applique un taux d’escompte bas et un calendrier d’amortissement étalé sur cinq ans, facteurs qui mis ensemble augmentent le montant des cotisations que doivent verser les répondants du régime de retraite qui se débattent déjà avec une diminution des rentrées de fonds due à d’autres forces économiques.

Inversement, les limites de surfinancement ou d’excédent de capitalisation suivant les règles actuelles empêchent les entreprises de mettre de l’argent de côté pour combler les besoins durant les mauvaises passes. Ces limites font que les avoirs des caisses de retraite montent et descendent selon une « onde sinusoïdale » allant d’une capitalisation légèrement supérieure aux besoins à une capitalisation très en dessous de 100 p. 100.

Ces règles de financement visent à prévenir les déficits de solvabilité, une notion d’ailleurs purement théorique. Pour déterminer s’il y a déficit de solvabilité, on prend un « instantané » des avoirs et montants dus des caisses de retraite, puis on calcule les montants nécessaires pour acheter les rentes permettant de verser les prestations aux retraités, advenant l’abolition du régime de retraite. En effectuant ces calculs, on postule certaines hypothèses, notamment pour le taux d’escompte, qui supposent un taux de rendement spécifique sur l’investissement des avoirs de la caisse de retraite. En vertu des règles actuelles, le taux de rendement supposé est inférieur à 5 p. 100. Mais en cette période où les niveaux de rendement sont extrêmement bas, n’est-il pas logique de penser qu’une telle supposition est peut-être trop conservatrice, vu les pressions qu’elle implique pour les répondants aux finances serrées?

Même si on les obligeait à liquider leurs actifs, les grandes fiducies de pensions seraient incapables d’acheter le nombre énorme de rentes que le taux d’escompte vise à couvrir. Leurs avoirs resteraient en fait investis dans un panier composé de divers types de valeurs, comme c’est le cas aujourd’hui. Le taux de rendement à long terme pour ce panier de valeurs mobilières atteint près du double de celui que postule notre test de solvabilité. Pourquoi alors planifier en fonction d’une chose impossible?

Il est grand temps que le gouvernement réexamine et refonde ultimement ses règles de financement des régimes de retraite. Il faudrait étudier sérieusement la possibilité d’appliquer une combinaison de mesures consistant à ajuster le taux d’escompte, à étendre les calendriers d’amortissement, ainsi qu’à augmenter considérablement les limites aux excédents de capitalisation.

La crise de financement actuelle démontre que les changements apportés aux règles de financement des régimes de retraite visant à garantir leur solvabilité à la suite du processus de réexamen gouvernemental en 2008-2009 étaient mal avisés. En fait, les règles de financement continuent à imposer des pressions indues aux répondants des régimes de retraite, et ce au pire moment.

La formule de prestations déterminées représente un aspect important du plan de retraite pour de nombreux Canadiens, si bien que ce type de prestations peut et doit demeurer la norme encore pendant de nombreuses années. On ne doit pas rejeter un élément clé du système de pensions canadien à cause des événements sans précédent survenus durant la dernière décennie et en fonction des soubresauts inévitables sur les marchés boursiers. Il faut plutôt corriger les règles de financement fédéral de façon à ce que les caisses de retraite puissent résister à de tels chocs lorsqu’ils se reproduiront.

2. Pratiques abusives sur le marché du travail

Pour pouvoir piloter un avion commercial au Canada, il faut détenir une Licence canadienne de pilote de ligne (LCPL). À l’heure actuelle, il y a des centaines de Canadiens détenant une telle licence qui sont en chômage, sous-employés ou forcés de chercher du travail à l’étranger.

L’exemple le plus actuel et le plus éminent de cette situation est le cas des anciens pilotes de la compagnie Skyservice Airlines. Cette compagnie de vols nolisés (charter) canadienne a d’abord réduit ses effectifs puis ultimement a été mise sous séquestre au printemps de 2010, mettant à pied plus de 200 pilotes canadiens. Il reste encore plus d’une centaine d’ex-pilotes de Skyservice en chômage, d’où un gaspillage de talents et un fardeau pour l’économie.

Pourtant, malgré la disponibilité d’un large bassin de pilotes très qualifiés qui sont désireux et capables de travailler au Canada, le gouvernement fédéral autorise les compagnies de vols nolisés comme Sunwing, CanJet et Jazz à engager des pilotes étrangers, pour la plupart en provenance d’Europe de l’Est, dans le cadre du programme des travailleurs étrangers temporaires.

Ainsi, l’hiver dernier, l’agence britannique Thomas Cook a recruté des pilotes de la compagnie de vols nolisés canadienne Jazz, annonçant qu’on avait besoin de 42 premiers pilotes et copilotes pour manœuvrer des appareils B757 au Canada. Pourtant, des pilotes canadiens dûment qualifiés pour de tels appareils, autrefois à l’emploi de Skyservice, restent en chômage.

On se sert à présent d’évaluations d’après les genres d’appareil pour filtrer les candidats canadiens admissibles. Les employeurs comme Sunwing et CanJet prétendent qu’il n’y a pas de pilotes qualifiés pour les appareils 737, lacune qui pourrait facilement être corrigée grâce à un bref cours de mise à niveau.

Les coûts de formation sont invoqués comme excuse pour ne pas embaucher des pilotes canadiens. Cela procure aux compagnies visées un avantage indu sur leurs concurrentes qui elles embauchent et forment des Canadiens.

Dans le passé, les pilotes étrangers avaient le droit de travailler au Canada durant les périodes de pointe à cause d’ententes de réciprocité conclues afin que les pilotes canadiens puissent travailler dans les pays de l’Union européenne et ailleurs. Mais tant qu’on n’aura pas rétabli un programme mesurable de réciprocité pleine et entière avec l’Union européenne permettant aux pilotes canadiens d’y trouver du travail, il faudrait interdire aux compagnies aériennes du Canada d’employer des pilotes étrangers avant que le bassin de pilotes canadiens qualifiés ne soit épuisé.

Entre-temps, des pilotes canadiens sont obligés de quitter le pays pour trouver du travail au Moyen-Orient et dans la région Asie-Pacifique. Cela prive l’industrie canadienne d’une ressource précieuse sous forme d’expérience et d’expertise, d’où la perte des millions de dollars investis pour leur formation. L’afflux de pilotes étrangers provoque une stagnation « synthétique » par rapport au marché du travail dans l’industrie canadienne de l’aviation, ce qui freine l’avancement professionnel des pilotes canadiens et empêche les jeunes pilotes novices d’y faire leur entrée. Par ricochet, il en a résulté une baisse des inscriptions dans les écoles de pilotage de l’ensemble du pays. En outre, le gouvernement du Canada continue à verser des sommes considérables en prestations aux pilotes canadiens en chômage comme ceux de l’ex-compagnie Skyservice.

Le gouvernement devrait modifier la politique mise en œuvre par Ressources humaines et Développement des compétences Canada pour éviter la perte ou la marginalisation de pilotes canadiens qualifiés à cause des pratiques discutables de compagnies aériennes canadiennes qui veulent ainsi s’épargner les frais de formation et les coûts sociaux qu’implique l’emploi de travailleurs canadiens.

Conclusion

Dans le sens de l’objectif du gouvernement fédéral consistant à créer et à maintenir des emplois de qualité au Canada, l’Association des pilotes d’Air Canada recommande les mesures suivantes :

1. modifier les règles qui encadrent les régimes de retraite à prestations déterminées sous juridiction fédérale, surtout en fixant le taux d’escompte à un niveau plus raisonnable et en prolongeant les périodes d’amortissement;

2. modifier la politique appliquée par Ressources humaines et Développement des compétences Canada pour interdire les pratiques abusives sur le marché du travail et pour éviter la perte de précieux emplois dans notre profession.